L'existence humaine ressemble à une représentation théâtrale qui, commencée par des acteurs vivants, serait terminée par des automates revêtus des mêmes costumes - Schopenhauer
J'ai reçu la vie comme une blessure et j'ai défendu au
suicide de guérir la cicatrice. Lautréamont - Les chants de Maldoror.
L’OMS nous offre ce jeudi 10 septembre l’une de ces
réjouissantes journées mondiales dont elle a le secret. Après la tuberculose
(24 mars) ou les hépatites (19 mai) et en attendant Alzheimer (21 septembre) ou
le sida (1e décembre), l’organisation mondiale de la santé nous
sensibilise au risque suicidaire.
On découvre d’abord la statistique qui tue : il y a
dans le monde 3000 suicides par jour, soit un toutes les trente secondes. Mais
les disparités d’une région à l’autre sont énormes, et privilégient nettement
les pays industrialisés.
Petit panorama mondial du suicide
Pour résumer, arrivent en tête la Russie et les pays d’Europe
centrale. La fin de l’URSS a bien entendu joué un rôle, mais la tradition
suicidaire de pays tels l’Autriche ou la Hongrie date au moins du XIXe siècle. Beaucoup
ont glosé sur le terreau romantique de la patrie de Sigmund Freud et son rôle
dans l’émergence de la psychanalyse…
Puis viennent les pays de l’Union Européenne. D’abord le nord,
avec la Finlande et le Danemark, puis le Luxembourg, la Suisse, la Belgique et
la France, dont les taux semblent proches de la Chine. L’hexagone est donc dans
le peloton de tête, avec 12000 suicidés par an, pour 160000 tentatives – mais reste
deux fois moins touchée que la Russie. Arrivent ensuite des pays comme l’Allemagne,
le Japon… et les Etats-Unis, qui, s’ils se distinguent au niveau des homicides,
sont environ 1,7 fois moins concernés par le suicide que les Français ! Bien en dessous il y a les pays méditerranéens et d’Amérique
(centrale et du sud). Koweït, Mexique et Colombie sont les trois pays où l’on se
suicide le moins.
Les affres de la solitude
Les facteurs explicatifs sont évidemment nombreux, et d’ordre
climatique, économique, sociologique et religieux… sans oublier l’imprécision
statistique due aux cas limites (accidents ou suicide ?) et à la
dissimulation (à ce titre, les organisations sanitaires considèrent que le
suicide est en France minoré d’environ 20%).
Au niveau économique, la France connaît un pic de suicide en
76 (après les krachs pétroliers) et en 93 (récession). Quid de la crise
actuelle ?
La
fameuse étude de Durkheim (1897) fait encore autorité aujourd’hui : si le
suicide est rare dans les sociétés agraires traditionnelles, il se développe avec
l’industrialisation. L’accélération du progrès amène la perte des repères et le
risque de se retrouver isolé, ce que le sociologue nomme suicide anomique. Durkheim
établit statistiquement que les célibataires et les sans-emploi sont les plus vulnérables,
et que le suicide augmente avec l’âge.
C’est le cas de la population française. Puis le taux décroît
à partir de 43 ans pour reprendre de plus belle à 70. Embellie du quadragénaire
qui se débarrasse de ses enfants ( à l’exception du phénomène Tanguy, en
recrudescence…) et du conjoint de longue date ? Age idéal, celui du
compromis entre l’expérience et la santé ? A 70 ans le taux de suicide remonte
en flèche – à 95 il devient dix fois supérieur à celui du reste de la
population.
Le jeunisme tue
Le problème du vieillissement devient d’autant plus cruel
dans une société adepte de jeunisme. C’est par exemple l’un des grands thèmes
de La possibilité d’une île. Dans son roman, Houellebecq décrit l’inhumanité
des maisons de retraite ainsi que la superficialité des revues féminines qui
participe du même phénomène, celui de l’émergence d’ « une humanité
factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au sérieux ou à l’humour,
qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus désespérée du fun et
du sexe ; une génération de kids définitifs. » Ma chronique du roman visible ICI.
Le tableau devient somptueux pour peu qu’on y mêle des
considérations démographiques. Car nous savons tous à quel point notre société
est vieillissante. Dans l’Europe de 2050, les plus de 55 ans seront
majoritaires – nous en serons. Quid des estimations du taux de suicide et de la
presse féminine ? Assistera-t-on à une esthétisation progressive du
matériel médical, qui deviendrait objet de mode à part entière (crachoir
tendance, canne profilée, everstyl version glamour…) ? Aux attentats
contre les défilés de modes traditionnels par des kamikazes en fauteuil roulant ?
Des raisons d'espérer - des amis par milliers
Mais gardons-nous d’une
vision trop pessimiste. Une société de vieux a toutes les chances de redonner
au vieux ses lettres de noblesse. Et puis le progrès est en route,
scientifique, génétique et peut-être surtout… informatique. Car si l’isolement,
on l’a compris, est une grande cause de suicide, l’émergence des réseaux
sociaux tels myspace, facebook et autres twittersonnera peut-être
définitivement le glas de la solitude.
Alors la prochaine
fois que vous aurez une demande d’amitié d’un inconnu sur Myspace ou Facebook
que vous serez tenté de refuser, dites-vous qu’il s’agit peut-être d’un solitaire,
vieux ou non. L’accepter, lui faire partager les moindres détails de votre vie
quotidienne (humeur,dernier film vu, heure d'achat du pain...) lui donnera l’impression d’être moins seul. Regarder vos photos de
soirées alors qu'il est déprimé devant son ordinateur lui mettra sûrement du baume au cœur, un peu comme s’il avait été invité… non?
Et que ceux qui
peinent à créer leur réseau se rassurent, La société uSocial vous permet d’acheter
des amis sur Facebook…
Matthieu, Seb, mes amis toulousains et rouennais trop tôt disparus - une pensée pour vous.
J'ai beaucoup aprecié cette lecture et, venant de la Colombie, médecin en France, aux Urgences et en maison de retraite, je considère que mon avis sur le sujet peut être . Je voudrais en discuter face á une petite bière bien fraîche.