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Saladin Sane
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6 mai 2009

LE BATARD TAOISTE ET LA TENTATION DU MARTINET

C’est en août 2008, lors d’une soirée à Venise en compagnie d’Anna et Vanessa - deux charmantes françaises connues sur place et dont j’aurai l’occasion de reparler, que germe en moi l’idée de rédiger quelques anecdotes sur mon éducation. C’est lorsqu’Anna évoque la galère de sa première année d’enseignement d’histoire-géo dans un collège ZEP peuplé de monstres chahuteurs que je suis amené à évoquer les quelques (rares) coups de martinet que j’ai reçu durant mon enfance. Toujours est-il qu’Anna et Vanessa sont franchement choquées par cette révélation. Je précise que mon grand-père, commerçant ambulant sur les marchés de Normandie, vendait cet ustensile avec un certain succès – n’en déduisez rien sur le rigorisme éducatif des
normands : je soupçonne certains de l’avoir destiné à leur chien.


Je me souviens comme si c’était hier de ce martinet, et
c’est avec une sincère nostalgie que je revois son manche de bois clair, verni, à l’extrémité duquel une corolle dentelée de plastique rouge voyait naître ces lanières de cuir marron foncé dont l’odeur caractéristique restera comme l’une des madeleines de mon enfance.    


Devant la surprise de mes interlocutrices, qui semblent soudain voir en moi une sorte de réincarnation moyenâgeuse, je me dis qu’un article s’impose. C’est en retrouvant un papier du Figaro Magazine (31/01/09) que je me décide enfin.


Cet article présente Sébastien Clerc, jeune prof d’histoire de 32 ans qui exerce dans un lycée classé « prévention violence » tout en donnant des cours de « tenue de classe » à ses collègues.  Il précise que « de toutes façons, les premiers mois seront chaotiques » et enchaîne les points qu’il juge essentiels :

-avoir tout le matériel nécessaire à portée de main afin d’éviter de chercher, de paraître brouillon : rien n’est plus « chahutogène ».

-disposer d’une montre réglée à la seconde près afin de contrecarrer les remarques du style « on a pas le temps monsieur, ça va sonner ».

- Se filmer si possible, du moins se faire observer par un collègue – car nombre de nos attitudes nous échappent complètement (tics nerveux, etc.)

-« avoir un comportement à la fois chaleureux et vaguement inquiétant pour que la majorité des élèves ne basculent pas du côté des leaders ».

-se rappeler du principe « d’inégalité pédagogique » : le prof doit commander et les élèves, supposément, obéir.

Ayant moi-même donné toutes sortes de cours, je ne peux qu’acquiescer à chacun de ces principes… que je n’ai pas toujours respectés à l’époque.


Je me souviens en particulier d’une année où j’étais pion/surveillant/assistant
d’éducation dans un collège non loin de Toulouse.


Connaissant le baby-sitting - et surtout les cours particuliers - mais dénué d’une quelconque expérience dans l’art de gérer des hordes d’enfants et autres ados plus ou moins pubères, j’avais fait l’erreur initiale d’une trop grande familiarité avec eux, au lieu de jouer l’adulte distant qui ne sympathise qu’avec parcimonie et après avoir fixé un cadre.

J’avais en outre, moi le néophyte, hérité des colles du mercredi après-midi dès le début d’année, aberration qu’on comprend vite pour peu qu’on connaisse l’incompétence des deux CPE qui sévissaient alors au collège (conseillères principales d’éducation), cruchasses dont la compétence principale résidait davantage dans l’art du bavardage ragoteur autour d’un thé que dans l’organisation pédagogique. Tout ça a donc contribué à ma réputation de pion à chahuter - réputation que j’ai du apprendre à rectifier peu à peu.


Ma première stratégie a été d’être plus ferme – parfois à l’excès, passant d’un extrême à l’autre. C’est là que me reviennent à l’esprit certains principes de la philosophie chinoise et taoïste, notamment l’un de mes aphorismes favoris : « le contraire d’un fou est toujours un fou. »

Car ceux de mes collègues pions qui criaient le plus, s’ils évitaient les pires chahuts, dépensaient une énergie folle avec un rendement finalement médiocre. A l’inverse, Richard, surveillant bientôt quadragénaire devenu mon ami, m’épatait par sa capacité à rester zen devant les provocations et à tenir les gamins mieux que personne.

Dans un autre genre, le directeur du collège, Monsieur L. – gros con dont le patronyme évoque celui d’une célèbre chaîne de supermarché – me subjuguait par sa faculté à amener le silence absolu dès qu’il pénétrait un couloir. Point n’était besoin pour lui de crier ni de sortir le moindre mot : c’était soudain comme un vent glacial qui figeait les élèves. 

Lorsque je pratiquais les arts martiaux à Toulouse auprès de maître Galinier, ce dernier m’avait marqué en évoquant le cas du chien, qui pour lui était paradoxalement plus dangereux dans le silence qu’en aboyant. Il avait comparé cela au point fermé – cliché trompeur du combattant efficace, amené par la boxe, alors qu’il limite énormément les possibilités martiales (le grand maître Henry Plée détaille ce sujet avec son brio habituel).

Il y a donc une intéressante analogie entre l’éducateur, l’animal et le combattant martial lorsque tous trois sont confrontés à un « adversaire » au sens large – et dieu sait que la violence des gamins n’a parfois rien à envier à celle de l’animal ou de
l’adulte
, pour peu qu’on connaisse tous ces profs dépressifs, effondrés, ce parfois même sur leur lieu de travail, telle cette enseignante qui avait
quittée sa classe en sanglotant et que mon ami Richard, qui passait par là,
avait consolé…



Une femme fragile, manquant de soutien professionnel comme d’autorité naturelle représente le cas le plus difficile. Qu’elle soit mutée dans une ZEP – privilège des débutants – et c’est la plongée dans la fosse aux requins, démenti cinglant du soit disant statut privilégié des profs – comme si l’Etat était un philanthrope qui donnerait une stabilité de l’emploi et de fréquentes vacances sans quelques contreparties… 

Devant une adversité que je ne maîtrise plus, je n’ai pas de tendance dépressive, mais au contraire une violence rhétorique ou physique selon les cas. Lorsqu’on est pas habitué au cadre scolaire et qu’on a du tempérament, la violence physique est une tentation évidente : on en revient au martinet.

Ce martinet, comme toute violence physique, est illégal en France au moins depuis le début des années 90 me semble-t-il – ce qui est loin d’être le cas dans tous les pays, y compris européens.

J’ai donc frôlé l’illégalité à deux ou trois reprises cette année-là – en particulier auprès d’une fille de quatrième que j’avais embarqué voir le directeur après m’être fait rembarrer violemment pour lui avoir ordonné d’arrêter de jeter des cailloux. Vraiment sur les nerfs la fille. J’avais déjà eu des problèmes avec elle durant les colles et elle pouvait pas me pifer. Chaque année elle testait les nouveaux venus – et on me conseillera après coup de faire appel à un autre surveillant en cas de nouveau problème.

J’ai donc embarqué K., quittant la cour pour pénétrer le bâtiment principal. Ne voulant pas aller plus loin, je la prenais par le bras ce qui me valu ses insultes. Mais pas n’importe lesquelles.

En me traitant de « bâtard » et de « fils de pute » elle était parvenu, sûrement malgré elle, à toucher ma corde la plus sensible. « Bâtard » cela me rappelait les insultes racistes de l’école, que me valut la découverte par certains de mes camarades que mon père était un arabe. L’ironie est que cette fille était elle-même d’origine arabe.
Quant à « fils de pute », il s’agit d’une expression que j’ai toujours eu du mal à prendre au second degré sans que je sache très bien l’expliquer. Au lycée, un gars avait fait l’erreur d’insulter ma mère durant un cours d’allemand et mon poing fermé – même si je sais maintenant grâce aux arts martiaux qu’il n’est pas le plus efficace – avait suffit à faire voltiger ses lunettes et à lui faire découvrir l’esthétique du cocard big size.


L’année dernière encore, un pochetron m’affublant du même qualificatif s’en tira avec une simple gifle – peut-être parce que j’étais moi-même bien ivre…


Autres temps autres mœurs, je sais maintenant que bâtard n’a pas toujours été une insulte : au moyen âge c’était plutôt un compliment car on considérait que le père d’un bâtard était un homme viril, qui plaisait par sa faculté à disséminer sa vigoureuse semence. Ainsi Guillaume le conquérant, célébrissime duc normand - né à Falaise comme nombre de mes ancêtres - et qui s’offrit l’Angleterre au XIe siècle, surnommé avec admiration Guillaume le bâtard 


Mais revenons au collège. Après le reste, les insultes ont déclenché en moi une véritable rage. Je la saisis fermement par le bras. La gifle était imminente, je la voulais bruyante et douloureuse, je voulais qu’elle souffre d’avoir été si odieuse alors que j’avais tout tenté avec elle, de la passivité aux gueulantes, de la proposition d’évoquer ses problèmes aux punitions diverses – mais rien n’y faisait. C’est finalement ce bon Marc, concierge du collège, qui est venu à ma rescousse et l’a embarquée vers la terrifiante tanière de Mister L. Marc m’a précisé ce jour-là que j’avais frôlé la catastrophe diplomatique en pensant la gifler, qu’on ne rigolait pas avec ces choses-là, lui qui sera toujours d’un grand soutien. Débordant d’énergie, la petite K. continuera de faire des siennes – elle sera d’ailleurs virée du collège avant la fin d’année. J’apprendrai plus tard que ses parents étaient divorcés, partie immergée d’un iceberg familial lourd et peuplé de galères – et que les gamins à problèmes du collège étaient toujours issus de familles à la fois défavorisées et recomposées

Quelques semaines après l’incident, la petite K. s’est mise à m’apprécier, et ne m’a plus jamais provoqué, sans que je sache vraiment pourquoi.


La prochaine fois j’évoquerai ma propre expérience des châtiments corporels, et celle de mes ancêtres plus ou moins lointains – autres temps autres mœurs…

 

                Saladin Sane     


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